Prose

Le Train ( Labyrinthe Chapitre IX)

Tu regardes les paysages. Tu regardes les passages à niveau. Tu te perds dans les épinettes enneigées. Les flottements de la zone lente et poussiéreuse que tu traverses s’éternisent. Tu comptes les espaces secondes qui s’écoulent. Tu te demandes comment ce train peut faire pour ne jamais arriver en gare. Il roule avec toi à son bord. Il n’y a pas plus d’autres passagers. Il n’y a plus personne qui assure le service de bar. Aucune hôtesse à l’horizon. Il n’y a plus de sécurité entre les wagons. Tu ne sais plus quand tu as pris ce train. Tu marches vers l’avant, tu traverses un long wagon restaurant. Sur les murs, tu vois la tête d’un chef. Tu le connais. Tu l’as vu la dernière fois dans son grand restaurant sur Magnificient Mile à Chicago. Tu aurais bien mangé quelques morceaux, mais les assiettes sont vides. Ton festin serait-il terminé ? Puis, tu croises le contrôleur. Tu te demandes alors si tu as bien acheté un billet. Tu ne t’en souviens plus. Tu fouilles dans la poche droite de ton long manteau de laine usé. Tu sors finalement un billet en forme de triangle. Une invitation pour le bal. Tu ignores ce qu’il fait là. Une odeur de fumée te monte soudainement au nez.

 

Le train à vapeur ralentit à l’approche d’un tunnel. La dernière épinette disparaît remplacée par un grand couloir de granite. Les pierres sont ornées de grandes fresques multicolores. Tu reconnais l’œuvre, mais tu ne t’en souviens plus clairement. Portant, tu connais l’artiste. Dans ta vie, avant, il y avait des galeries d’art, des fêtes et des anniversaires où tu ne connaissais personne. Le contrôleur marque son impatience en hochant légèrement la tête. Coincé, plutôt collé, tu aperçois enfin le billet de train. Il est chaud. Il vient de se matérialiser devant toi. Le destin imprègne d’encre noire sa fatalité. Le contrôleur te laisse finalement passer et disparaît vers un autre wagon. Tu te demandes pourquoi puisque tu es le seul passager. Le train accélère. Il s’enfonce dans le tunnel puis chaque wagon ressort lentement du gouffre. De l’autre côté s’allongent les grands bâtiments de la Capitale du Labyrinthe. Le train approche de la gare du Sud. Cette gare aux mille fresques, tu l’as arpentée bien souvent. Tu attendais un départ. Ou peut-être une arrivée. Tu ne sais plus trop. Tu découvres, surpris, une foule immense qui descend du train. Tu te souviens pourtant de l’avoir vu vide. Tu constates que tes moments d’absences transportent parfois tes souvenirs ou tes pensées beaucoup plus loin que tu ne peux l’imaginer. Cette fois, tu as bien l’intention de ne plus laisser les murs t’étouffer. Tu sais que chaque seconde compte. Et si chaque pas te rapproche de la salle de bal, tu es sûr qu’une fois dans cette salle, quand la musique s’arrêtera de nouveau, tu sauras très bien ce que tu auras à faire cette fois-ci !

( Merci à mon père pour la correction et les idées)

Égarement

Tes pensées s’échappent en illusion. Tu fixes le Bordeaux rouge classique qui repose au fond de la coupe. Il pleut, les regards sont froids, le vent glacial. Tes yeux se vident et les invités se prolongent en dialogues inaudibles.

Tu n’es déjà plus là. Les murs miroirs te renvoient l’absence. Tu la revois, mais il n’y a plus que le désert des silences qui mettront bientôt fin aux questions d’usage. Plus rien à dire. Tu n’as plus de mots ni d’idée nouvelle que l’écoulement des secondes en vase clos. Un avortement parfait, froid et chirurgical. Tu as pris le bistouri et coupé d’un seul geste toute émotion, toute supplication, toute tentative.

Dans cette pièce carnavalesque, tu es soudain celui qui a réussi la fuite parfaite. Tu regardes derrière, il n’y a plus personne qui te pourchasse et tu ne pourchasses plus personne. Les pas de danse sont futiles. Les musiques monotones. Le vin goutte l’eau. La nourriture est fade et grise.

 

La bande film est en noir et blanc et la pluie s’accentue. Tu sors dehors, tu regardes à gauche puis à droite. Tu n’es plus certain d’exister. Cette dimension de l’espace, sans autre regard pour te percevoir sur la pellicule, tu l’as baptisée depuis longtemps. Tu l’appelles égarement. Tu t’éloignes seul alors que les arbres, les statuts et le vieil étang masquent ta disparition.

Déroute

« Pourquoi tu gosses? Pourquoi? »

 

Les sentiers illuminés de ses déroutes s’engouffrent dans les mélancolies alcooliques. Elle ne pouvait que lui prouver sa déraison. Il écrivait des vers pour les desserts de ses courbes qui n’étaient que des illuminations de son cerveau. Il avait dans son sang le goût des moments qui se perdaient dans les mots le long du drap blanc. Pendant les froids que lui offre la vie, le déplaisir des astres, le conformisme et le féminisme empêcheront l’étalement de son désir. Et il pense que peut-être un soir de pleine lune, il pourrait voir l’éternité et connaître le prix des passages immortels et des voyages sans nom. Flottements célestes de son corps en transfert dans les lunes des idéaux. Affranchir son souffle pour un seul baiser volé à ses chastes lèvres. La lumière diffuse d’une seule surprise au matin des pertes de sens. Le prix… Toutes voiles dehors, c’est la montée des ténèbres dans ses os de vampire.

 

« Prends mon cœur, prends la vie qui ne vaut que cette parcelle de jouissance. Pourquoi tu gosses? Tu étais pourtant agréable… »

Peinture d'un temps ancien.

( L'appartement, été 2008)

 

Disjoncter, mon ami le jeune clown

Dans sa cour, il y a une foule de courtisanes

Mais aucune ne semble pouvoir devenir reine

Disjoncter le clown

C’est un être complexe

Sa pensée n'est pas cristallisée

Elle virevolte au vent

Et on peut, si on est chanceux

Voir un peu plus loin

 

Et il y a ceux qui dansent

Et ceux qui rient

Il y a des éclats de lumières sombres

Qui frappent les corridors des esprits

Dans une boîte quelque part

Le  vieux disjoncteur observe la scène

Il est loin sur le front

Une ligne frontière

Il écrit sur du papier noir

Un texte à l'encre bleue

Pour son ancienne fiancée

Restée sur le quai, le temps d'un dernier baiser

 

Une scène, un plan, un horizon

Lentement, la caméra recule

Et prends de la vitesse

Il s'enfonce vers nulle part

Disjoncter le clown

Lui s'efforce encore devant les sourires

Il croit toujours au monde qui l'entoure

Sa déconnexion n'est pas terminée

 

Compte jusqu'à treize

Un, pour le temps qui passe

Deux, pour les peines d'amour

Trois, pour les corridors qui mènent vers ailleurs

Quatre, pour les bonbons roses de nos grand-mères

Cinq, pour l'amour

Six, pour l'art

Sept, pour les oubliés morts au champ d'honneur

Huit, pour les junkies qui marchent dans la nuit

Neuf, pour les vampires qui sucent le sang

Dix, pour ne plus rien comprendre

Onze, un cœur d'enfant

Douze, une amitié

Treize, court-circuit

Disjoncteur disjoncté

 

Il y a une scène de baiser

Sur le balcon quand la foule s'éloigne

Quelques bavardages

Il est tard, les étoiles se couchent

Ce soir, je traverse la nuit en voyageur

Au loin, la citadelle m'attend.

Destins croisés

 

(* Réflexion de Saint-Valentin à 32 degrés sous zéro *)

 Le métro roulait dans la nuit. La rame était déserte et sans vie. Je me souvenais de son regard qui disparut quand les portes du train se refermèrent sur elle. Elle avait encore trop bu; j’aurais voulu l’embrasser, mais mon amour pour elle s’était alors tu devant son refus. Quelque part, maintenant dans les mirages des illusions de décors qui défilent dans la grisaille des couloirs souterrains de la station Sauvé, j’inventais des mondes.

Quand je l’ai revue, elle s’était déjà amourachée d’un autre. Je me pris dans mes rêveries à penser les possibles. Était-ce mon propre manque de volonté ou mon attention détournée qui faisait en sorte qu’elle n’était que souvenir amer? Était-ce ma faute? Ou bien je n’y pouvais rien, car mon axe de vie se dirigeait inlassablement ailleurs? N’est-ce pas simplement une projection de la propagande du cinéma hollywoodien? Existe-t-il un monde où je sacrifie tout pour la rejoindre? Un monde dans lequel j’achète un billet aller simple. Un monde ou Franck Sinatra chante durant le générique de mes souvenirs.

Ce soir, il n’y a pourtant que le vent et la matrice ne m’offre rien que le glacial hiver québécois.      Il fait froid, l’alcool, les vapeurs de cannabismes affectent mes sens. Depuis les derniers bombardements de mon cœur par son aviation, j’ai demandé au général de l’armée de terre d’assurer la protection du bunker. Elle vit quelque part sans moi. Pense-t-elle à moi? Pense-t-elle à lui? La solitude, la vraie, serait-elle de t’aimer dans le vide, dans le néant, d’être seul sans miroir et sans retour?

Je me demande, si dans une autre dimension, mes amis seraient mes amis. Si je n’avais pas cette fois-là ou à cette autre occasion dirigé mes pas dans cette direction, que serait-il arrivé? Les couples, les coups de cœur, les baisers frénétiques, les enfants, la maladie et la mort, tout ça virevolte dans les chemins croisés des destins. Existe-t-il un espace différent des calculs aléatoires, des trajectoires divinatoires ou simplement un seul destin déjà payé d’avance? Existe-t-il un monde où j’ose lui dire que je l’aime?

Intercalaire

Un brin d’amertume dans le regard. Il fait froid dehors. Vent glacial d’hiver, mais nous sommes pourtant aux portes de l’enfer. Non, mais quand même, il ne faudrait pas se prendre au sérieux. La cigarette se consume et au loin s’illumine la croix du Mont-Royal. La croix est fixe et regarde l’île depuis je ne sais combien d’années. Point de repère du corsaire, chaque fois que l’on fume dehors dans la neige qui frappe les vitres d’un appartement. On pourrait être sur le bord de la mer, sur une île, le décor serait plus sympathique. Combien de fois ai-je fumé ainsi seul? Toujours avec l’immense plaisir de me retrouver quelques minutes pour faire le vide.

Je rêve à mes personnages, coincés dans leur voiture avec la police au cul. J’essaie de m’accrocher au moment présent et de ne pas trop faire de projections. Le tableau affiche l’heure des départs. Je cherche surtout l’heure des arrivées. Il me semble que la matrice n’a pas produit de distorsion depuis un bon bout de temps. Le vin a un goût étrange, ça doit être le mélange de bouffe, de cigarette et de gin avalé plus tôt.

Il y a la musique et les toasts que l’on porte. Les départs que l’on fête et la joie des nouveaux arrivants. Ils n’ont pas l’air faits forts nos amis de passage. Je ne pense pas qu’ils vont franchir avec succès la vallée russe. Moi, j’ai pris congé. Les pauvres, ils n’ont rien pour se défendre, même pas d’historique.

J’ai vraiment merdé sur ce coup-là.Faut vraiment que je ferme ma gueule. Pas les moyens d’avoir d’autres interrogations. J’enfile mon déguisement de politicien si pratique dans les périodes où je veux sauvegarder les apparences. Faut que je calme les démons qui harcèlent mon cerveau.

Je réalise surtout que je suis dans ce que Burroughs avait baptisé l’interzone. L’interzone entre deux mondes. Un intercalaire. Quand je suis assis dans la pièce, je perçois des variables possibles dans la réalité que je définis par écrit. Je modifie les variables pour créer de l’effet. Mais les effets restent prisonniés dans l’interzone, je n’arrive à rien matérialiser. J’ai toujours l’impression de cabotiner dans mon rôle.

 

Bon, allez! Passe-moi donc le Scotch, novembre achève. De retour au programme principal.

Lendemain de veille

Le couloir est vide

Les couleurs s’évaporent

Les désirs s’effacent

Le silence s’invite

 

Il ne reste que quelques secondes

Son visage disparait

J’avorte mes songes

Crois mes mensonges

 

La foule s’évanouit

La ville s’endort

Et je reste seul

Ici dans l’effroi

 

Perdu au creux

Des vallées tourmenteuses

Je sens que je perds pied

Je tombe de haut

 

J’avorte dans ma tête en bulle

J’avorte les possibles

J’avorte les mondes ouverts

J’avorte ma raison d’être

 

Silence froid

Des solitudes 

Je m’endors

Une fois encore sans vous

Fidèle compagne

Elle arriva dans un espace qu’elle ne connaissait pas. La douleur était enfin partie. Le poids du steak ne l’affectait plus. Elle se sentait soudain comme jadis quand la fatigue ne l’atteignait pas. Elle s’était trouvée sur le chemin d’un vieil abbé qui lui avait offert de l’eau d’une pureté qu’elle n’avait jamais encore osé imaginer. L’abbé était lui aussi enfin libre, il lui proposa de poursuivre le chemin avec elle. Il marchait vers le blanc immense et infini des espaces-temps lunaires. Elle cherchait son maître, mais il semblait que ce dernier avait dû rester derrière. Pourtant, elle savait que dans bien des années, il serait là lui aussi et que, comme avant, il y aurait encore cette grande table remplie de grands enfants qu’elle aimait tant. C’était la première fois qu’elle entreprenait un voyage en solitaire et la présence de l’abbé l’avait rassuré. Soudain, ils croisèrent un groupe de réfugiés, c’étaient des chrétiens qui dans la plénitude de l’espoir avaient entrepris eux aussi le grand voyage. Ils fuyaient les ténèbres. La lumière devint de plus en plus grandiose, d’une pureté sans faille. Les voix des grands enfants se faisaient de plus en plus lointaines et elle s’inquiéta une dernière fois pour eux. L’abbé lui fit signe, au royaume des justes elle entra.