Blogue compulsif

Peinture d'un temps ancien.

( L'appartement, été 2008)

 

Disjoncter, mon ami le jeune clown

Dans sa cour, il y a une foule de courtisanes

Mais aucune ne semble pouvoir devenir reine

Disjoncter le clown

C’est un être complexe

Sa pensée n'est pas cristallisée

Elle virevolte au vent

Et on peut, si on est chanceux

Voir un peu plus loin

 

Et il y a ceux qui dansent

Et ceux qui rient

Il y a des éclats de lumières sombres

Qui frappent les corridors des esprits

Dans une boîte quelque part

Le  vieux disjoncteur observe la scène

Il est loin sur le front

Une ligne frontière

Il écrit sur du papier noir

Un texte à l'encre bleue

Pour son ancienne fiancée

Restée sur le quai, le temps d'un dernier baiser

 

Une scène, un plan, un horizon

Lentement, la caméra recule

Et prends de la vitesse

Il s'enfonce vers nulle part

Disjoncter le clown

Lui s'efforce encore devant les sourires

Il croit toujours au monde qui l'entoure

Sa déconnexion n'est pas terminée

 

Compte jusqu'à treize

Un, pour le temps qui passe

Deux, pour les peines d'amour

Trois, pour les corridors qui mènent vers ailleurs

Quatre, pour les bonbons roses de nos grand-mères

Cinq, pour l'amour

Six, pour l'art

Sept, pour les oubliés morts au champ d'honneur

Huit, pour les junkies qui marchent dans la nuit

Neuf, pour les vampires qui sucent le sang

Dix, pour ne plus rien comprendre

Onze, un cœur d'enfant

Douze, une amitié

Treize, court-circuit

Disjoncteur disjoncté

 

Il y a une scène de baiser

Sur le balcon quand la foule s'éloigne

Quelques bavardages

Il est tard, les étoiles se couchent

Ce soir, je traverse la nuit en voyageur

Au loin, la citadelle m'attend.

Le réveil froid.

( Mars 2000)

Chaque nuit absence

Le temps s'allonge

Pour s'étendre

Dans les étoiles

 

Et le soleil des nuits

Ne brille plus dans mon lit

Qui se refroidit

Dans l'hivers triste qui s'emplit

 

J'évoque son nom souvenir

Pour franchir l'aube des soupirs

Et je revois son sourire caché

Revenir me hanter

Destins croisés

 

(* Réflexion de Saint-Valentin à 32 degrés sous zéro *)

 Le métro roulait dans la nuit. La rame était déserte et sans vie. Je me souvenais de son regard qui disparut quand les portes du train se refermèrent sur elle. Elle avait encore trop bu; j’aurais voulu l’embrasser, mais mon amour pour elle s’était alors tu devant son refus. Quelque part, maintenant dans les mirages des illusions de décors qui défilent dans la grisaille des couloirs souterrains de la station Sauvé, j’inventais des mondes.

Quand je l’ai revue, elle s’était déjà amourachée d’un autre. Je me pris dans mes rêveries à penser les possibles. Était-ce mon propre manque de volonté ou mon attention détournée qui faisait en sorte qu’elle n’était que souvenir amer? Était-ce ma faute? Ou bien je n’y pouvais rien, car mon axe de vie se dirigeait inlassablement ailleurs? N’est-ce pas simplement une projection de la propagande du cinéma hollywoodien? Existe-t-il un monde où je sacrifie tout pour la rejoindre? Un monde dans lequel j’achète un billet aller simple. Un monde ou Franck Sinatra chante durant le générique de mes souvenirs.

Ce soir, il n’y a pourtant que le vent et la matrice ne m’offre rien que le glacial hiver québécois.      Il fait froid, l’alcool, les vapeurs de cannabismes affectent mes sens. Depuis les derniers bombardements de mon cœur par son aviation, j’ai demandé au général de l’armée de terre d’assurer la protection du bunker. Elle vit quelque part sans moi. Pense-t-elle à moi? Pense-t-elle à lui? La solitude, la vraie, serait-elle de t’aimer dans le vide, dans le néant, d’être seul sans miroir et sans retour?

Je me demande, si dans une autre dimension, mes amis seraient mes amis. Si je n’avais pas cette fois-là ou à cette autre occasion dirigé mes pas dans cette direction, que serait-il arrivé? Les couples, les coups de cœur, les baisers frénétiques, les enfants, la maladie et la mort, tout ça virevolte dans les chemins croisés des destins. Existe-t-il un espace différent des calculs aléatoires, des trajectoires divinatoires ou simplement un seul destin déjà payé d’avance? Existe-t-il un monde où j’ose lui dire que je l’aime?

Tentative d'épuisement de 3 lieux

 

Montréal, samedi 31 janvier 2015, 10h. Temps froid et sec, ciel ensoleillé. Trois coins de rue de trois quartiers différents. Simultanément postés devant nos écrans d'ordinateurs respectifs dans des cafés d'Outremont, d'Hochelaga et du quartier Centre-Sud, nous tentons de faire parler les lieux. Pendant une heure (la même), nous notons de façon continue ce qui s’offre à notre regard: l’animation des cafés, les affiches des commerces, les passants, les véhicules qui circulent dans les rues, la couleur des briques, la texture des arbres, les fissures dans les trottoirs, les déchets. Tous ces détails qui, ensemble, constituent la mémoire, inépuisable, de ces lieux montréalais.


10h

Au coin des rues Bernard et Durocher, on devine le trottoir en brique malgré une couche de neige sale, beige et parsemée de gravier. Ici, les lampadaires sont plus coquets qu'ailleurs en ville, verts émeraude, avec des ornements et de longs glaçons fins qui pendent sous les lampes. À quelques mètres de la vitrine du café où j'écris est planté un arbre, lui aussi recouvert de glace, un petit arbre rabougri, presque ridicule à côté des frênes majestueux qui bordent la rue Durocher. Les quelques poubelles installées par la ville, du même vert que les lampadaires, sont encastrées dans le banc de neige. Un taxi passe sur Bernard, lentement, suivi de près par un cycliste qui porte une énorme paire de lunettes de ski et une tuque orange fluo. Au-dessus de la porte du 1052 rue Bernard se tient une affiche rose sur laquelle apparaissent les mots « Chaton santé. Clinique vétérinaire pour félins » en lettrage blanc. Au même moment où je remarque l'affiche, un homme dans la cinquantaine en paletot noir sort de l'édifice, mais sans félin.

À l’angle nord-est des rues Ontario et Letourneux, le Bièrologue vient précisément d’ouvrir. Le propriétaire secoue le tapis d’entrée sur le pas de la porte.  Dans la vitrine, le logo de la boutique précise « Depuis 2012 ». Le lettrage vintage veut donner l’illusion d’une vieille tradition, mais on ne s’y leurre pas. Le « Bièrologue » est un agent d’embourgeoisement plutôt récent. Au-dessus de « Bières froides », imprimé sur un auvent, un autre écriteau le trahit : « Bières et terroir à emporter ». À l’angle sud-est, un pavillon en briques beiges de l’école Chomedey-de-Maisonneuve. Des travaux sont en cours. Des échafaudages sont installés devant la porte d’entrée qui donne sur la rue Letourneux, des clôtures de chantier cernent le pourtour du bâtiment. Sur le toit, des garde-corps temporaires ont été installés. Les travaux concernent sûrement la toiture. Aucun ouvrier en vue : nous sommes samedi. À l’angle sud-ouest, une succursale de Pharmaprix. Une grosse banderole rouge est installée sur le haut de la devanture : « Maintenant ouvert ». À l’angle nord-ouest, je suis bien installé, au chaud, dans le recoin d’une vitrine du Hochecafé. Je viens de terminer un croissant et un grand latté. Suis-je moi-même un agent d’embourgeoisement ?

Café Sfouf. Coin Ontario et Beaudry. Façade principale. Grande vitrine sur rail telle une double porte de garage. Tous les carreaux sont givrés. Idem pour les montants et traverses en aluminium. Venu de la rue Beaudry, le soleil a percé une sorte de hublot à travers la glace. L’extérieur est très peu visible. Sur la longueur de la vitrine un petit comptoir très bas en guise de table. Fait d’une seule pièce et flanqué de 7 chaises de bureau sur vis en bois et métal. Confort rustre. À chaque extrémité du comptoir, un arbuste orphelin dans un pot trop petit.

10h10

Une voiture argentée est stationnée en double, une Volkswagen je crois. Un homme qui porte un Canada Goose entre dans la voiture et s'assoit sur le siège du conducteur. La voiture démarre bruyamment et prend la rue Bernard vers l'ouest. Une jeune femme avec un manteau en suède avance avec les bras pleins de sacs de provisions, les joues et les oreilles écarlates, le visage enfoncé dans son foulard beige, les sourcils froncés. Elle doit regretter de ne pas avoir mis de tuque. L'autobus 160 ouest s'immobilise devant le café et occupe tout mon champ de vision pour quelques secondes. Ici, les panneaux de signalisation n'ont pas la même allure que ceux qu'on retrouve quelques rues plus loin à l'est, dans le quartier Mile-End. L'inscription « rue Bernard » apparaît sur une pancarte ovale, cerclée d'une bande bleu ciel. Passe rapidement une autre jeune femme avec un sac à main et une tuque blanche, enfoncée par dessus les sourcils. Elle interrompt sa marche lorsqu'une voiture bleue foncée la coupe en roulant directement sur le trottoir, avant de s'enfoncer dans une ruelle. Passent un père et un fils hassidiques. Le père porte un schtreimel de fourrure et tient une enveloppe de plastique transparent remplie de tissus noirs. Le fils, qui ne porte qu'une kippa, se réchauffe frénétiquement les oreilles avec ses mains.   

Dans un abribus, une jeune femme à la tuque rouge attend l’autobus. Le 125 en direction ouest. Un homme à la barbe grise passe tout juste devant en lisant un cahier du Devoir. Je n’ai pas le temps de savoir lequel. Il s’engouffre dans le café et continue de lire son journal en attendant de commander au comptoir. La fille de l’abribus attend toujours et elle lit également un journal ou des circulaires (le papier est plus coloré que le Devoir, c’est peut-être simplement le Journal de Montréal). J’attrape un bout de conversation à la table d’à-côté. Une femme parle du dernier film de Maxime Giroux que nous avons justement vu hier. Un couple traverse la rue. Lui en noir, elle en blanc. Au même moment, le bus 125 passe et attrape la jeune fille à la tuque rouge. Un jeune barbu dodu à la tuque noire et aux lunettes fumées arrive d’Ontario Est et tourne sur Letourneux avec son chien. On dirait un petit cocker noir. Son chien, évidemment. La barbe de son maître est couverte de givre. […] Un client du café est venu interrompre le fil continu de mon écriture pour me demander le mot de passe du réseau wifi du Hochecafé. Je lui ai donné en indiquant le code « Espresso » écrit à la craie sur le mur-ardoise du café. Il m’a remercié gentiment et est retourné s’asseoir. Je me rends soudainement compte de l’agitation qui s’est emparée du café. Quand je suis arrivé, vers 9h, c’était beaucoup plus calme. Le café semble s’être animé précisément à 10h, alors que je commençais à taper. À moins que ce ne soit mon esprit lui-même qui se soit animé soudainement. Un homme se stationne au coin de la rue avec sa petite Volks noir. Il entre dans le Hochecafé, sans doute pour un café pour emporter. Il a les cheveux lissés vers l’arrière avec du gel. Une étrange petite voiture bleue est arrêtée au feu rouge (je lis X-90 sur le côté). Le feu est passé au vert et la conductrice ne l’a pas remarqué. Elle est distraite par une piétonne qui attend de traverser la rue en face du Bièrologue. Elle ne semble pas comprendre pourquoi la piétonne ne traverse pas, mais cette dernière a bien vu le feu passer au vert. La confusion cesse après un moment et la voiture tourne sur Ontario en direction est.

Au centre, deux autres tables longues. La base est métallique. Les dessus de tables est en ciment cerclé d’un cadre en bois. Le même ciment marié à du bois de grange en façade du comptoir de vente. Devant, une ardoise. “Brunch libanais”. Au coin, un bureau rétro.  Une ardoise encore plus grande.  “Cafés et Boissons.” “Tartines”. Une tisane sur un petit plateau vert. Une tasse aux dorures délavées et une soucoupe dépareillée à motifs de fleurs et dorure sur le pourtour. Au coin de la soucoupe, accoté sur la cuillère, un petit biscuit jaune semblable à une éponge.

10h20

Une grosse butte de neige sale, encore plus sale que celle qui recouvre le trottoir, bloque un espace de stationnement. Juste derrière la butte se trouve une grosse fourgonnette beige, d'un beige similaire à celui de la neige. Le trafic sur la rue Bernard devient tout à coup plus dense et une quinzaine d'automobiles se succèdent rapidement, en direction ouest. Sans que je puisse expliquer pourquoi, à peu près au même moment, plusieurs couples et plusieurs petits groupes de passants défilent devant la vitrine du café. Je n'ai même pas le temps de les décrire. Je remarque tout de même un jeune homme sans tuque, avec les cheveux rasés sur les côtés, et plus longs sur le dessus de la tête. L'un des quatre coins de l'intersection est occupé par un immeuble en briques rouges, avec des tourelles sur les côtés, style château. La lumière du matin empêche de distinguer quoi que ce soit au travers des fenêtres, pour la plupart sans rideaux. Sur les lampadaires verts, quelques autocollants à moitié arrachés, des autocollants rouges, blancs et noirs, dont je ne distingue ni le texte ni les illustrations, mais dont je devine le propos politique. Une femme blonde vêtue d'un manteau noir rembourré avec un capuchon bordé de fourrure artificielle marche, des écouteurs sur la tête. Elle est suivie d'un couple de jeunes Asiatiques qui portent deux Canada Goose identiques, même modèle et même couleur. Sur le trottoir, se tient en équilibre précaire un tableau sur lequel est inscrit le détail du « Spécial brunch » du restaurant bistro Le République. « Bénédictine du jour jambon, champignon, sauce poivrons rouges : 11,95. Omelette du jour chèvre, tomates, portobello et roquette : 12,95. Cassolette deluxe : 15,95. Servi avec café ou thé. »

Quelques inscriptions lues à l’angle de la rue : juste devant moi, un gros panneau interdit l’accès de la rue Letourneux aux camions (« Excepté livraison locale »). La peinture du panneau s’est écaillée avec le temps. On dirait que quelqu’un a gravé son nom ou un mot dans le coin inférieur droit du panneau. Je lis DONAT ou DINAT… Le « O » est moins clair. J’imagine qu’il était plus difficile de faire les courbes du « O » que les autres lettres du mot qui sont plus droites. Je penche quand même pour « DONAT ». On dirait le nom d’un vieil itinérant. Une ardoise est apparue à l’extérieur, à la porte d’entrée du Bièrologue. Je viens juste de la remarquer. Elle n’y était pas, il me semble, quand je décrivais justement la boutique il y a quelques minutes. Je lis la promotion annoncée : un rabais de 10 % pour le combo nachos et salsa. À la craie de couleur (rouge et bleue), il est aussi écrit : « Hockey-Superbowl. 12 pizzas. Boissons gazeuses d’ici. Sauces piquantes B.B.Q. Chips. ». Aucune mention de bière. Seulement des accompagnements pour le menu du Super Bowl qui a justement lieu ce weekend. D’autres panneaux de signalisation limitent la vitesse dans le secteur : 40 km/h sur Ontario et 30 km/h sur Letourneux. Nous sommes en zone scolaire. Sur le poteau des feux de circulation, devant moi, j’identifie une affiche collée et déchirée à certains endroits. En raison de la courbure du poteau et selon mon angle de vue, je perds certaines lettres des mots qui sont écrits. Je décode quand même : « BLOQUONS LE SALON… PLAN NORD… ». Je lis aussi les mots « Prolétaires unis… » La faucille et le marteau apparaissent également au milieu d’une étoile.

 Musique. Des Gaulois?... Astérix ?... Huit clients. Au moins 3 chaises vides entre chaque. Exception d’un couple en bout de table avec une petite fille d’un ou deux ans. À terre, une panoplie d’objets avec lesquels la petite fille s’occupe. Le couple se regarde, mais ne se parle pas. Même table, 3 chaises plus loin, un homme et 3 chaises plus loin, une femme. Les deux pianotent sur leurs téléphones cellulaires respectifs, semblant ignorer que l’autre fait le même geste. Table le long de la vitrine. Trois laptops. Trois trentenaires affairés.

10h30 

En direction ouest, un vieux pick-up rouge vin conduit par un homme avec une longue barbe et une casquette jaune contraste avec le décor. Une femme hassidique marche en poussant un landau double, suivie de trois petites filles âgées entre 3 et 7 ans environ. Passe ensuite une vielle femme à l'allure austère, vêtue d'un long manteau et d'une tuque noirs. Je crois qu'elle est également hassidique jusqu'à ce qu'elle sorte un paquet de Benson & Hedges de sa poche. L'autobus 160 ouest obstrue encore une fois ma vue pendant quelques secondes lorsqu'il s'immobilise devant un abri-bus. Une autre mère hassidique marche avec ses deux fils. Elle porte sur la tête un fichu fleuri noir et blanc et eux, des casquettes à oreilles carreautées bleues et vertes. Un jeep vert lime passe sur la rue Durocher, suivi de trois voitures argentées. J'aimerais être plus précise, mais je ne connais rien aux modèles et aux marques de voiture. Une autre femme hassidique, avec un fichu fleuri bleu et blanc. Au troisième étage d'un des immeubles du coin de la rue, un homme sort sur un balcon en fer forgé et s'allume une cigarette. Il porte un manteau d'hiver, des bottes de caoutchouc et des pantalons de pyjama. Il fume quelques instants, pas plus d'une vingtaine de secondes, puis lance sa cigarette sur le trottoir et rentre à l'intérieur.

Le barbu qui lisait un cahier du Devoir en entrant dans le café ressort maintenant et passe devant la vitrine, rue Letourneux (direction nord). Il traîne toujours son cahier du Devoir et tient à la main un gobelet de café. Un homme attend de traverser à l’angle sud-ouest. Il promène un gros boxer qui semble lui-même tirer son maître vers le nord. D’autres gens entrent encore dans le café, par la porte qui se trouve juste derrière moi. Un jeune couple passe dehors. Il est blanc, elle est asiatique. Elle lui tient le bras comme une vieille dame. Ils croisent un homme d’âge mûr qui porte un gros casque de poil. Il tient une cigarette dans sa main droite qui pend le long de son corps. C’est un tout petit mégot fumant qui disparaîtra bientôt. Ses mains nues sont rougies par le froid. Deux personnes attendent encore l’autobus 125. Une femme en manteau rouge et un enfant de 7 à 10 ans dans un habit d’hiver rayé orange fluo et gris. La femme étire la tête pour voir si l’autobus arrive. L’enfant ramasse un peu de neige par terre et, sans raison, la lance négligemment dans la rue. Sa mère le laisse faire. Il étend sa recherche un peu plus loin autour. Il ramasse un petit bout de neige durci et le lance également dans la rue. Puis, il se lasse. Le voilà qui donne simplement des coups de pied dans la neige pour la renvoyer dans la rue. Sa mère semble lui dire quelque chose. Peut-être souhaite-t-elle maintenant qu’il arrête. C’est justement ce qu’il fait. Il arrête. Une femme dans une voiture bleue passe devant moi et tourne sur Ontario, direction ouest. Elle a une longue cigarette au bec qu’elle n’a pas encore allumée. Le propriétaire du Bièrologue vient de sortir sur le pas de la porte et a dit quelque chose à la femme qui attend la 125 avec le jeune garçon. Ils se connaissent peut-être. Il tient un petit verre de bière noire à la main. Une bière mousseuse dans un verre de dégustation. En retournant dans sa boutique, il tourne la tête dans ma direction. Peut-être me voit-il écrire la scène depuis mon poste d’observation.

Musique pop-folk anglophone à base de hohohoho. Deux nouveaux clients. Un couple. Un gars avec un chandail en laine brun. Un gars avec une chemise carottée multicolore. Ils s’assoient à l’extrémité de l’autre grande table jusque-là vide. Deux cafés. Une jeune femme aux bottes en peau de zèbre entre. Minuscule sac à dos, gros chandail de laine noire et tuque assortie. Pose son sac sur une chaise. Elle rejoint l’homme et la femme au service derrière le comptoir. Ils échangent quelques mots et sourient. Les bottes zébrées troquées pour des souliers plus confortables. Chaise, café, cuillère. Le couple de gars s’en va. Restés le temps de boire un café.

10h40

Un autre coin de l'intersection est occupé par une église baptiste en brique rouge. Je ne réussis pas à lire l'horaire des offices affiché devant la porte, mais l'édifice semble vide, sans activité. Juste devant est stationnée une fourgonnette blanche sans fenêtre à l'arrière. Une Hassidique passe à côté de la fourgonnette en tenant deux gamins par la main. Elle porte un capuchon de plastique transparent qui cache une partie de son visage, mais qui ne doit pas vraiment la tenir au chaud. Je ne parviens pas à distinguer si c'est une femme de petite taille ou une adolescente. Le soleil brille soudain de plus en plus fort. La lumière réfléchit sur la glace qui recouvre les toits des voitures et sur les parcelles de neiges les moins sales, encore blanches, du trottoir. Sur la rue Durocher roule un véhicule SUV blanc sur le toit duquel est accroché un petit drapeau du Canada qui s'agite au vent. Un rayon de soleil est réfléchi par le véhicule immaculé, et je suis éblouie une fraction de seconde. Encore une mère hassidique qui pousse un landau double. Ça doit être la fin ou le début d'une cérémonie de Shabbat, décidément.  

Les gens marchent autour et traversent le coin généralement par deux. Il y aussi des mères qui traînent des enfants dans des poussettes. J’en ai vues deux dans la dernière minute. Il y aussi des gens seuls, qui traînent des sacs ou des petits chariots pour faire leurs courses, au Marché Maisonneuve sans doute, dont je vois d’ailleurs le dôme d’où je suis assis. Un père tient dans ses bras un enfant – deux ans maximum – et entre dans le café. La mère qui attend l’autobus 125 avec son garçon semble s’être lassée d’attendre. Tous les deux marchent maintenant sur Ontario, direction ouest, avec les bras qui pendent de lassitude le long de leurs corps. Des gens se disent au revoir au coin du café. Au moins six personnes qui se font la bise, puis partent dans la même direction (vers l’est). Un couple se détache ensuite en traversant la rue Ontario vers le sud. Un piéton marche avec un sac d’épicerie sous le bras et des écouteurs sur les oreilles. Au même moment, je réalise qu’il y a de la musique dans le café. C’est la première fois que je m’en rends compte. C’est une femme qui chante. Un trémolo mélancolique dans la voix. Une ballade un peu vieillotte et vaguement exotique. Je reconnais un air de fado et l’inflexion de voix de Mísia. Mais je n’identifie pas précisément la chanson. Deux hommes barbus se croisent. Les barbes des deux hommes ne sont pas entretenues avec le même soin. Une jeune femme, deux livres sous le bras, marche sur Ontario. L’homme et la femme qui parlaient du film de Maxime Giroux à côté de moi viennent tout juste de sortir du café. Un jeune homme traverse Ontario à la course et les croise. Il pénètre dans le café et se met dans la file pour commander au comptoir. Un homme légèrement vêtu pour le froid qu’il fait arrive alors d’Ontario Est. Sa démarche est claudicante. Il s’apprête à entrer au Bièrologue, puis il se ravise. Il regarde dans ma direction. Il se dirige plutôt vers le Hochecafé. Sans doute vient-il se chercher un café. Il a des pantalons rouges et une petite veste de sport. Il pianote maintenant sur son téléphone intelligent avant de passer sa commande. Ça prendra encore du temps : il y a au moins six personnes avant lui dans la file d’attente.

Un homme seul entre. s’assoit au coin de table tout juste libéré. À lui seul il pèse au moins le même poids que ses deux prédécesseurs. Toujours pas de visibilité vers l’extérieur. La percée dans le givre sur la vitrine a regelé. Des silhouettes d’autos qui circulent sur la rue Ontario. Par les carreaux du bas, moins gelés que les autres, des jambes. Gros bas colorés. Petits souliers en cuir inadaptés à l’hiver. Grosses bottes de sécurité. Nouveau client qui s’installe le long de la vitre. Gants et clés d’auto atterrissent sur la table. Des lunettes embuées les suivent. Sac à dos à terre. Cappuccino. Une grosse liasse de papiers sort du sac. Reliure spirale.

10h50

Un jeep vert lime roule en direction ouest, sans doute le même que tout à l'heure. Ça ne doit pas être à la mode, les jeeps verts lime, par ici. Un homme et une femme marchent un derrière l'autre, séparés par une distance de deux ou trois mètres, en direction est. Ils portent chacun un enfant immobilisé dans une combinaison d'hiver mauve pastel. Exactement le même modèle de combinaison d'hiver une pièce mauve pastel. J'en déduis que l'homme et la femme doivent être un couple. Sinon, ce serait tout un hasard. Une petite voiture noire essaie de se stationner avec peine derrière la butte de neige sale. Le véhicule finit par s'immobiliser en biais, une roue montée sur le trottoir. En sort une homme avec une casquette noir et des lunettes de soleil. Il verrouille la portière de sa voiture et marche rapidement en direction ouest. Il dépasse un homme hassidique recouvert d'un long châle blanc orné de dessins noirs, puis une femme avec des collants roses fluos qui promène deux chiens, un bouvier bernois et un boxer, ou quelque chose du genre. Un coup de vent agite les branches les plus fines des frênes de la rue Durocher. De gros flocons flottent dans l'air et se déposent tranquillement par-dessus la neige, sale, des trottoirs. Un camion de livraison Purolator passe sur Bernard en direction ouest. S'échappe de son silenceux une fumée blanchâtre et épaisse qui m'empêche, pour quelques secondes, de distinguer l'autre côté de la rue.

Un homme se tient devant le Bièrologue avec un appareil photo muni d’un long objectif. Il prend en photo quelque chose devant la boutique. Au moins deux ou trois prises. Je crois savoir ce qu’il vise avec son objectif : des branches de sapin qui ont été mises dans des bacs à fleurs en guise de décoration hivernale devant la vitrine du Bièrologue et qui sont maintenant ensevelies sous la neige. C’est peut-être joli avec le soleil radieux qu’il fait en ce moment. Je souris tout seul dans le café en imaginant la correspondance de nos gestes. Lui, le photographe anonyme qui fige le temps. Et moi, le scribe minutieux qui décrit son geste à la minute même où il le pose. S’il revoit un jour ses photos, j’aurai figé le moment exact de la prise sans qu’il le sache. Il reste à peine quelques minutes d’écriture et le coin de la rue semble justement s’être calmé. Il paraît y avoir soudainement moins de monde. Une femme qui traîne deux sacs d’épicerie vient tout de suite me contredire, puis une jeune femme en jupe courte et aux bas de nylon noirs. L’artère se réanime soudainement. De jeunes parents traînent un bébé dans un siège d’auto. Un couple sans enfant, puis un homme seul. Quelques personnes que je n’ai pas le temps de décrire. Un musicien porte un étui de guitare et un amplificateur traîné dans un chariot sur roulettes. Un père traîne son enfant minuscule dans un traîneau. Deux hommes se croisent au milieu de la rue Letourneux. L’un va vers l’est, l’autre vers l’ouest. L’autobus 125 vient de s’arrêter au coin de la rue. Le chauffeur ou la chauffeuse boit une gorgée de café. Son regard se perd dans ma direction à travers ses lunettes de soleil, mais je n’identifie pas clairement son visage. Le feu passe au vert. L’autobus redémarre et part vers l’ouest.

Mélange de musique juive et de rap. Plafond blanc. Murs en lattes de bois peinturées d’un blanc immaculé. En arrière du comptoir un dégradé du bleu clair au blanc. Au-dessus des tables, des fils électriques torsadés. Au bout, des ampoules nues allumées. Proches des mur, les ampoules sont habillées. Chaudières pour eau d’érable en guise d'abat-jour. Guirlandes de ronds de papiers aux couleurs pastel. Neufs paniers grillagés en rectangle supportent une sélection de plantes disparates. Quelques photos encadrées et portemanteaux agrémentent le même pan de mur. Derrière le comptoir, un grand miroir et quelques tablettes. Verres et bouteilles d’origine suédoise. Machine à expresso. Four. Panoplie d’ustensiles de cuisine.

11h

En même temps

L'idée lui tord l'intérieur. Merveilleuse et impossible.
Un chat, attiré par la fable, s'est usé les griffes en vain.

C'est introspectif comme thème.

Pourtant il lui semble que la lumière ventile encore un espoir sucré. Miroiter que l'omniprésence soit enviable... Il n'est pas certain.

Mes images s'effacent au profit des mots et se faufilent, entraînant l'alphabet dans leur course. Le paysage défile, indémêlable.

Alors il décrirait les rêves éveillés.
Chapeau! Il n'a pas de bottes de sept lieues mais un chapeau oui. Et le coiffer est une invitation au voyage.

Promenade en vis à vis.
Deux regards sur un paysage de reflets.
Dedans, dehors. En même temps.

Dedans
Paysage de fourmis au soleil. Craquante agitation de croque-mitaines en costume d'hiver et de marbrures. Pavés mouvants, lézardes en ascension constante vers la sainte coque, le béton concave d'une arche de Noé qui ne se sauve plus qu'en rêve.

Dehors
Les grues, drapeaux en poupe, se livrent des duels essoufflants tout le temps d'un tour de soleil.

Ici
Dans leur course folle, des tortues enivrées se retrouvent sur le dos, incapables du moindre mouvement. Incapables!

Là-bas
C'est un sillon noir que l'on trace sur la neige. Blessure salée du bitume en hiver.

Encore
Je m'endors sur mon cahier, alors que des murs blancs s'effondrent en gris. Des taches dans les yeux, indélébiles, invisibles pour l'autre coté. Un jour je rêve sans dormir, mais ce n'est pas vrai, ce n'est jamais vrai. Ce n'est pas moi qui meurs, ce sont toujours les autres.

Ailleurs
Le temps de l'œuf. La marche militaire. Tu rêves. Il claque des portes à ta fenêtre. Quatre. Étang de cris au crépuscule du chaloupé. Le rythme se balance au bout d'une corde de grillons.
Sentimentale. Tu souffles une brise de jasmin pour que l'écho du voyage te suive jusque dans les plis d'un autre sommeil. Te survive, la soie de la nuit.

Assez
C'est étourdissant. Tant d'incohérence, j'ai mal au cœur.
Soyons sérieux et comptons. Les flocons par bourrasques, les efforts par pelletées et nos pas dans la forêt. Au bord de l'autoroute, l'horizon bleu des érables sous solutés n'inspire pas confiance. L'attraction est ailleurs, les accidents se succèdent pour le plaisir des voyeurs. Au gré des glissades, le long ruban rouge s'anime ou s'arrête. Il fera bientôt noir sur ses berges blanches, et nous jouerons encore le jeu. 

L’avaleuse (Labyrinthe VIII)

Et dans un moment de flottement entre deux temps, je descendis l’escalier. Ce dernier semblait étrangement mou et difforme. Lorsque j’arrivai au bout des marches avec la plus grande difficulté un gouffre s’ouvrit devant moi, la musique qui émanait de la salle de bal s’arrêta. Les colonnes de la pièce se mirent à fondre. L’impératrice était là. Elle n’avait plus sa forme normale. La foule des convives était en état de panique. Pour la première fois, les lois de l’équilibre du Labyrinthe semblaient être déstabilisées. La forme sans âme de l’impératrice avançait vers moi.

Le gouffre s’agrandit, le temple fut bientôt absorbé et les débris remplacés par un champ de fleurs fanées, d’arbres calcinés et de rochers usés par le temps. L’impératrice s’était transformée et le labyrinthe se consumait. L’impératrice était devenue une avaleuse. Elle avalait toutes les parcelles des bonheurs, toutes les joies, toutes les peines, toutes les passions, et ce, jusqu’au dernier mot d’amour.

Les pensées de ma tête s’évaporaient. Les nuages devenaient pourpres, marron, jaunes et noirs; terriblement noire.

Le Labyrinthe ne tolérait pas cette résistance. Il ne pouvait concevoir qu’un esprit, prisonnier de sa personne, puisse se rebeller contre sa fonction de prison éternelle. Le passage que j’avais ouvert n’était pas son œuvre, c’était la mienne. Alors, il déployait son arme favorite et était prêt à sacrifier l’ensemble des habitants pour assouvir sa soif d’autorité. L’avaleuse s’attaqua à la lumière, je ne ressentais plus rien. La passion violente s’évaporait en bruine du matin des rosées.

 

L’avaleuse n’avait aucune pitié, elle avait un ego sans fin et servait le Labyrinthe. Je me demandai si je n’aurais pas mieux fait d’accepter mon sort et de longer sans fin les corridors du Labyrinthe. On m’avait avisé de ne pas me rendre au centre. L’avaleuse s’attaquait maintenant aux mots qui composaient mon cerveau. Soudain, dans ma poche le triangle d’invitation s’activa…

La rêveuse

Comme je marchais dans les limbes des désolations, les ruines des déchirures affectaient mes regards et de mes yeux perlaient les rêves de mondes nouveaux. Un cerveau en tête d’abricot et des mousses folles, je m’élevais grandiose.

Je n’avais d’espoir que pour un seul sourire. J’étais perdue au firmament du désir. Quitter ce monde aux idées fixes, mortes et noires. Je rêvais d’aventure qui d’un seul trait effacerait les angoisses de mes canaux interstellaires.

Je n’étais qu’une enfant, dans un monde de vieux, qui attendait les clients perdus dans la nuit ici à l’Escale, commerce du milieu et du bout du monde coincé entre deux maringouins et quelques sapins.

Alors que j’étais perdue dans mes rêveries et que mon monde réel me tuait de son ennui quotidien, j’entendis un bruit au loin. Le moteur rugissant d’une Mustang dont le son de la décélération m’indiquait que j’aurais enfin de la compagnie, mais j’étais loin de me douter que celle-ci m’emporterait avec elle.

***

Bon, on va devoir s’arrêter et faire le plein. Il dort toujours, elle aussi. Le repos du guerrier.

 

Le Chauffeur arrêta la voiture devant la pompe 68 de l’Escale. La nuit était noire et sans failles. Quand le moteur s’arrêta de gronder, chérie se reposait et le chant des criquets s’amplifia. Le Nord dans toute sa splendeur.

 

Bon, le plein est fait. Je pense que je vais profiter du silence et de notre avance pour acheter un peu d’alcool et de bouffe. Tu m’attends ici, Chérie. Je reviens.

 

Le magasin offrait l’ensemble des commodités. Le Chauffeur entra. Une jeune fille d’environ dix-neuf ans perdue dans ses rêveries lui fit un grand sourire. Le Chauffeur ne lui porta pas attention et se dirigea d’un pas déterminé vers le frigo à bière.

 

Furtivement, une voiture de la Sureté du Québec se gara à la pompe 66.

Le chauffeur

 

 

Fallait bien que je vienne les sortir de la merde mes deux tourtereaux. L’amour comme ils disent. Elle a vraiment l’air de prendre son pied. Va falloir qu’elle le lâche parce qu’il ne tire plus juste. On ne peut pas tirer du semi-automatique, semer les cochons et baiser sur la banquette arrière en même temps, ma belle. Bon, c’est le temps d’utiliser de la technique et de semer cette bande de porcs.

 

L’idée aussi de voler une banque après avoir dévalisé l’alcool du bar hier soir. C’était quoi le nom du bar? Ah oui, je me souviens : le Détour rouge. La serveuse valait vraiment le détour en effet. Voler une banque et oublier que votre chauffeur s’est endormi saoul mort sur le divan de la chambre cent douze du motel au Cap Diamant rue De Lorimier. J’espère juste que mon bébé à moi n’aura pas de blessure mortelle. Avoir fait un plan, j’aurais volé un autre char. Le problème avec un anarchiste, c’est qu’il fait toujours juste à sa tête. L’autre problème quand il est avec sa rebelle, c’est qu’il doit ensuite donner un sens au chaos que sa tête de fou vient de créer afin de faire de l’effet ou du style comme il dit lui-même.

 

Allez, chérie! On va l’atteindre ensemble le 200 kilomètres à l’heure. Finalement, j’ai très bien fait d’amener chérie avec moi, car je pense qu’ils n’ont pas prévu de billets de retour. On va rouler et mettre de la distance entre le monde et notre monde. La cassure ne va pas se refermer. Bon, elle est où cette bouteille?

 

***

 

La voiture accélère. Dans un espace de temps qui figure sur cette ligne au milieu de la route comme dans celle de la vie, la Mustang engrange les kilomètres. Les voitures de police n’arrivent pas à suivre, faut dire que pour un gars de région, une voiture c’est pire qu’une femme. Elle doit être parfaite, sans failles et toujours répondre au doigt et l’œil. Le gouvernement aurait dû refaire une commande de voitures de poursuite, mais bon, les amis du régime doivent se la couler douce sur un yacht avec le pognon du budget en question.

 

Route du Nord. Forêts, lacs, rivières et villages dégagent du paysage les clochards, les édifices sombres et les filles froides. Les sirènes ont perdu la guerre. Le silence s’installe. Sur la banquette, l’anarchiste et sa douce rebelle dorment paisiblement maintenant. Le chauffeur, roule droit devant lui, direction l’Abitibi. 

En allant voir ailleurs si j’y suis

Si les choses sont des éclats
Du savoir de l’univers,
Qu’au moins je sois mes propres fragments,
Indéterminé tout autant que multiple.

Fernando Pessoa

 

Connue de tous, la pratique consistant à lancer une requête d’informations en tapant son propre nom dans un moteur de recherche mène à une évidence : nous existons en plusieurs lieux. Fruit de nos recherches et grappillages en ligne, ce triptyque artistique est construit à partir des archives de nos trois individualités dissoutes dans le cybermagma.


 

Facebooking

Fragments d'une homonyme belge par Camille(s) Toffoli

 

Au revoir le noir. Bonjour le rouge.


Jalousie taupes doutes patience


J'ai le droit d'être tranquille
Non.
Tout problème à sa solution
Comme on dit.

Je cherche jamais
Misère à croire
Qu'on a la tête à chercher l'embrouille.
Te le touches et je te tue salope.


Jalousie taupes doutes patience


Je m'en souviendrai gueule de bois
Genoux écorchés ouverte dans le dos mal tomber
Bu comme des pochtrons
Dans votre cul le week-end.


Le pire moment au monde
C'est lorsque tu ne peux pas aimer
Quelqu'un parce que ton cœur
Appartient à quelqu'un qui l'a brisé.


Jalousie taupes doutes patience


N'attends pas les derniers moments
Pour lui dire à quel point
Tu l'aimes.
Chasse le naturel il revient toujours au galop.

La folie nous arrêtera
Jamais.
Demain peut se passer pleins de choses.
N'importe où n'importe quand.


Jalousie taupes doutes patience


Tu as des personnes comme ça.
Un confident
Un tonton gâteau
Toujours là.

Sa flèche vous amène
Au chemin du bonheur.
Tu me rends tellement bien.
Mon hamburger de mon cœur.



Jalousie taupes doutes patience


Au revoir le noir.

Bonjour le rouge


 

Zapping

Damien(s) Thomas à la chaîne


 

Egogoogling

@utoportraits de Jean-Philippe(s) Boudreau

Intercalaire

Un brin d’amertume dans le regard. Il fait froid dehors. Vent glacial d’hiver, mais nous sommes pourtant aux portes de l’enfer. Non, mais quand même, il ne faudrait pas se prendre au sérieux. La cigarette se consume et au loin s’illumine la croix du Mont-Royal. La croix est fixe et regarde l’île depuis je ne sais combien d’années. Point de repère du corsaire, chaque fois que l’on fume dehors dans la neige qui frappe les vitres d’un appartement. On pourrait être sur le bord de la mer, sur une île, le décor serait plus sympathique. Combien de fois ai-je fumé ainsi seul? Toujours avec l’immense plaisir de me retrouver quelques minutes pour faire le vide.

Je rêve à mes personnages, coincés dans leur voiture avec la police au cul. J’essaie de m’accrocher au moment présent et de ne pas trop faire de projections. Le tableau affiche l’heure des départs. Je cherche surtout l’heure des arrivées. Il me semble que la matrice n’a pas produit de distorsion depuis un bon bout de temps. Le vin a un goût étrange, ça doit être le mélange de bouffe, de cigarette et de gin avalé plus tôt.

Il y a la musique et les toasts que l’on porte. Les départs que l’on fête et la joie des nouveaux arrivants. Ils n’ont pas l’air faits forts nos amis de passage. Je ne pense pas qu’ils vont franchir avec succès la vallée russe. Moi, j’ai pris congé. Les pauvres, ils n’ont rien pour se défendre, même pas d’historique.

J’ai vraiment merdé sur ce coup-là.Faut vraiment que je ferme ma gueule. Pas les moyens d’avoir d’autres interrogations. J’enfile mon déguisement de politicien si pratique dans les périodes où je veux sauvegarder les apparences. Faut que je calme les démons qui harcèlent mon cerveau.

Je réalise surtout que je suis dans ce que Burroughs avait baptisé l’interzone. L’interzone entre deux mondes. Un intercalaire. Quand je suis assis dans la pièce, je perçois des variables possibles dans la réalité que je définis par écrit. Je modifie les variables pour créer de l’effet. Mais les effets restent prisonniés dans l’interzone, je n’arrive à rien matérialiser. J’ai toujours l’impression de cabotiner dans mon rôle.

 

Bon, allez! Passe-moi donc le Scotch, novembre achève. De retour au programme principal.

Truand, baiser et Mustang

( * lire le texte Moment publicitaire avant celui-ci )

Le sang du banquier giclait sur le socle. Du si beau marbre aurait dit ma mère. Il me regardait encore. Il avait cette obsession de toujours me sourire. Depuis, notre rencontre dans ce bar miteux, il n’avait cessé d’être illuminé par ma présence. Maintenant, je pense, enfin j’espérais avoir capté son attention avec mon acte complètement fou. Il faut croire que ça fait du bien un bon coup de baseball bien visé et le grand chelem n’est pas si loin finalement. Les otages s’étaient tuent leurs cris de désespoir m’énervaient au plus haut point. Je déteste ce comportement de pleutre, qui après avoir mené une vie de nul implore encore quelques fractions de seconde. Une seconde de plus va changer quoi dans ta vie?

Là, devrais-je encore décider ? Il semblait trop apprécier le moment pour réagir et prendre la fuite. C’était, lui dans toute sa splendeur, le moment présent comme une terminaison définitive. Le hurlement des sirènes était de plus en fort. Lentement, il cessa de me regarder et leva les yeux. Je savais qu’il avait décidé de la suite de l’action. Il s’empara de son arme, ramassa les deux sacs d’argent, arma l’arme et le feu nourri du semi-automatique fit voler en éclat la vitre principale de la banque. Dehors, la cavalerie arriva à vitesse folle. Une journaliste blonde, jambes sans fin et sourire de pulsion de glace avec son cameraman grand et musclé qui devait savoir s’occuper d’elle les soirs sans reportage. Ils tentaient de capturer le meilleur moment d'intensité pour les spectateurs du monde entier.

Voilà le moment. L’intensité, c’était bien la clé. Il avait compris qu’il ne pourrait pas combattre la morosité des choses de la vie qu’en m’offrant cette intensité. Intensité dans chaque chose, dans l’action, dans les mots, dans l’alcool, dans les gestes amoureux, dans l’amour lui-même. Intensité qui t’empêche de rester dans le même état plus de deux secondes. Il avait décidé de mourir et c’est pour cette raison que je savais que nous sortirions d’ici vivant.

Et au moment où la police semblait avoir repris le contrôle du chaos, la Mustang noire arriva. Il y a deux sortes d’orgasmes : celui de la baise et celui de la mort qui se rapproche. Les balles volèrent dans toutes les directions. La portière passagère de la voiture s’ouvrit. C’était bien lui. Ce matin, encore trop saoul, il ne s’était pas levé. La veille, pourtant il était prêt au combat pour se rendre au bout du monde. Mais, ils étaient ensemble et ils savaient toujours arriver au moment précis où l'un avait besoin de l'autre. Le reste est comme un rêve. Il me pousse, je grimpe. Je suis assise sur lui et son espèce d’acolyte au volant encore sur les vapeurs de la veille démarre en trombe. Je sens les balles froides du semi-automatique me glisser le long de la cuisse, je sens l’odeur de l’argent. J’entends les sirènes et je pense bien que cette fois j’y suis enfin. Pour la première fois de ma vie, je prends mon pied.

Tic Tac Toc

Le tic du toc

Ses courbes!

Bois-tu la tasse?

Le toc du manque de tac

Mettre en boîte

Analyse

Une ligne

Paralyse devant sa jupe

Retrousse ton sourire

Mais je vous dis que ça va bien!

La fin des moyens

Retraite préventive

Capitulation?

Jamais

Je me perds

Elle s’égare

Saoule?

Bien sur

Un chat

Mais je suis scorpion

Je t’écrase

Fuite devant

Merde je suis saoul

Encore

Le gars est beau

Je cogne

Ben non embrasse

Celà pourrait faire un froid?

Je sais

Méchant conseil d’administration

Si elle savait

Convention morale.

Je couche ma main

Attention

J’attends mes cartes

La chance tournera

Comme ma tête 

En Tic Tac Toc

Sur le bord du gouffre

Sur le bord du gouffre où son souffle

M’engouffre je souffre

Toiles d’araignées qui me font saigner

Village déserté, hôtel abandonné

Je rêve de grands paysages éblouissants

Je deviens un accélérant électrisant

Lancer toute voile dehors, sur la Côte-d’Or

Dans mes éclats scintillants de conquistadors

Je cherche les cœurs de theclas nématiques

Qui hantent moqueurs, mon sombre manoir élastique

Pour me réjouir des encombres des esprits diaboliques

Pour fuir les Algonquins, qui m’ensorcellent coquins

Je m’établis alors taquin, dans un lit à baldaquin

Ayant bu trop de breuvage du malin

Ma parole se perd en vrillage manichéen

Que maintenant m’habite cette lointaine symphonie

Faite de reconduite de mes rêveries d’étourdi

Parcourez-vous le village pour vaincre le décalage?

Suivrez-vous mon sillage ou plutôt son mirage?

Lendemain de veille

Le couloir est vide

Les couleurs s’évaporent

Les désirs s’effacent

Le silence s’invite

 

Il ne reste que quelques secondes

Son visage disparait

J’avorte mes songes

Crois mes mensonges

 

La foule s’évanouit

La ville s’endort

Et je reste seul

Ici dans l’effroi

 

Perdu au creux

Des vallées tourmenteuses

Je sens que je perds pied

Je tombe de haut

 

J’avorte dans ma tête en bulle

J’avorte les possibles

J’avorte les mondes ouverts

J’avorte ma raison d’être

 

Silence froid

Des solitudes 

Je m’endors

Une fois encore sans vous